La France a fait le choix de suspendre le service national mais n'a pas voulu priver ses jeunes de connaissances sur les principes et les réalités de la défense de la France, des Français et des valeurs de la République. Le parcours de la citoyenneté, qui a remplacé l'appel sous les drapeaux, comprend le recensement de tous les jeunes de 16 ans, l'enseignement de la défense (à l'école, au collège et au lycée) et la journée défense et citoyenneté (JDC). Ce blog est consacré à l'enseignement de la défense au Lycée Uruguay-France, à l'histoire militaire de la région d'Avon et de Fontainebleau, au devoir de mémoire, aux relations entre les armées et la nation, et aux métiers proposés par les acteurs de la sécurité et de la défense.

22 janvier 2011

27 janvier : Journée de la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité

"La France a retenu la date du 27 janvier, anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, pour cette journée de la mémoire.

"Cette journée de la mémoire devra faire prendre conscience que le mal absolu existe et que le relativisme n’est pas compatible avec les valeurs de la République. En même temps, il faut montrer que l’horreur s’inscrit dans une histoire qu’il convient d’approcher avec méthode, sans dérive ni erreur. Ainsi appartient-il à notre institution de faire réfléchir les élèves à l’Europe du XXème siècle, avec ses guerres et ses tragédies, mais aussi à ses tentatives de synthèse autour des valeurs des droits de l’homme et à sa marche vers l’unité. Il est nécessaire de montrer aux jeunes que ces valeurs ne sont pas de simples mots. Leur respect dans tous les pays du monde est fondamental et nécessite de la part de chacun d’être attentif à ce qui menace ces valeurs et actif pour les défendre."
B.O.E.N. n°46 du 11 décembre 2003 : http://www.education.gouv.fr/

Le 8 décembre 2004 dix-huit élèves et deux professeurs du Lycée Uruguay-France ont visité le camp d'Auschwitz-Birkenau. Le voyage était organisé par le Mémorial de la Shoah et le Conseil régional d'Ile-de-France. Le récit de ce voyage reste d'actualité, nous avons donc décidé de le publier à nouveau.

Une élève de terminale devant le mur des photos de familles qui se trouve dans le "Sauna". Ces photos appartenaient aux déportés qui ont dû abandonner tous leurs effets personnels en arrivant dans le camp.

Dans le car qui nous mène de l'aéroport de Cracovie à Auschwitz, Jacques Zylbermine un ancien déporté a raconté son histoire.

« Il y a soixante ans, je suis venu en « touriste » malgré moi.

En 1943, je vivais avec ma famille près de Rennes, à Vitré. Nous y sommes venus en mai 1940 lorsque Nancy, où nous vivions, a été évacué.


En 1943, j’avais 14 ans, ma mère, mon père, mes deux sœurs et moi avons été arrêtés. Nous avons ensuite été transférés à Drancy. Nous sommes restés à Drancy un mois, le temps de former un convoi. Ainsi, 1350 personnes se sont trouvées entassées dans des wagons SNCF « chevaux 8, hommes 40 », nous étions 60 entassés dans chaque wagon, hommes, femmes, enfants, vieux, femmes enceintes. La promiscuité était insoutenable. Comme il n’y avait pas de place pour tout le monde, les personnes âgées et les bagages étaient au milieu, les autres sont restés debout pendant trois jours et trois nuits. Nous disposions d’une petite ration de nourriture et de deux sceaux remplis d’eau dans le wagon… pour soixante personnes. L’odeur était insoutenable. Soixante personnes qui font leurs besoins… Sans se cacher, impossible d’y échapper. Très vite les sceaux débordèrent. Des volontaires les vident par les lucarnes grillagées avec des boîtes de sardines. Trois nuits… Nous arrivons à une destination inconnue. L’expression que nous avons entendue à Drancy était « Pitchipoï ». Les transports partaient pour « Pitchipoï » ! Personne ne savait où c’était.

Devant cette baraque s'effectuait le "triage" des déportés. Un "médecin" SS classait les déportés à leur descente du train en deux colonnes. Une pour les déportés condamnés au travail, l'autre pour ceux qui sont destinés à mourir.
Partis le 7 octobre 1943, nous arrivons le 10 octobre. Le train s’arrête. Nous entendons des coups sur les wagons, des hurlements : « los, schnell ». L’angoisse est inimaginable. Des brutes en uniforme frappent les wagons avec leurs schlagues en caoutchouc. « Laissez vos bagages, vous les récupérerez plus tard ». Les wagons vidés on nous a poussé vers un endroit plus spacieux. Là les hommes sont séparés des femmes. Le convoi est scindé en deux groupes. Puis il y a une nouvelle sélection parmi les femmes. Certaines d’un côté, les autres de l’autre… Sans raison apparente. Des camions sont arrivés. Les jeunes et les plus valides sont d’un côté, les vieux, les invalides et les enfants sont partis dans les camions. Les rotations durent dix minutes. Toutes les dix minutes les camions viennent rechercher d’autres personnes. Bientôt il n’y avait plus de femmes. J’ai vu ma mère et mes deux sœurs disparaître à jamais, mais alors je ne le savais pas. A nouveau une sélection chez les hommes. Il faut passer devant un officier SS qui demande l’âge et la profession. Le rituel continue. Droite ou gauche… Le SS me demande mon âge. 14 ans, tu vas à gauche. Mon père est allé à droite Je ne comprenais pas cette procédure.


Je me suis retrouvé avec 350 jeunes. L’autre groupe avec les plus âgés et les enfants est parti dans une nouvelle rotation dans les camions.

A notre tour, nous montons dans les camions. Nous contournons la ville par des chemins détournés. Je me suis retrouvé à Auschwitz III, Buna-Monowitz, de l’autre côté de la ville. Nous ignorions où étaient nos parents et nos bagages. Dans ce camp il y avait entre 12000 et 15000 personnes. C’était le troisième camp après Auschwitz I et Auschwitz II, le plus récent des camps de ce complexe qui regroupait 40 à 45 camps en Haute Silésie. Je n’ai plus jamais remis les pieds dans les deux autres camps mais très vite nous avons su ce qu’il s’y passait. Il y avait des baraquements en bois. Arrivés là, nous culbutons d’un univers dans un autre. Commence le processus de déshumanisation On nous ordonne de nous mettre nus. On nous tond les cheveux et les parties pileuses. On nous douche, en fait nous recevons un jet d’eau bouillante, puis un jet d’eau glacée. On nous jette dehors avec un paquetage : un pyjama rayé et des galoches en bois. Les pyjamas sont de toutes les tailles, c’était grotesque, il fallait faire des échanges. Là on nous dit que « vous êtes ici depuis deux heures et que vos femmes et vos enfants sont déjà sortis par la cheminée… » C’est le moment de l’immatriculation. Le tatouage. Tous les déportés sont tatoués avec ma même aiguille qui n’est jamais nettoyée. Pour moi ce fut huit jours d’infection et de douleur.

Le camp de Buna procurait de la main d’œuvre pour IG Farben. C’était une usine qui fabriquait du méthanol à partir du charbon, ainsi que du caoutchouc synthétique « Buna ». L’usine était entourée de barbelés et gardée par des SS. A notre arrivée il y avait un énorme espace marécageux avec une forêt de grues. Les déportés doivent construire des routes et l’usine. L’espace est immense, 8 kilomètres sur 6 ! L’usine était conçue pour fabriquer du carburant synthétique et du caoutchouc destiné à fabriquer des pneus et des patins de chars. Ici l’espérance de vie était de une semaine à trois mois. Auschwitz III, était un camp d’extermination par le travail et non par le gaz. »

La tristement célèbre porte de Birkenau vue de l'intérieur du camp. C'est à cet endroit précis que les déportés descendaient du train.
Une fois arrivés dans le camp d'Auschwitz II- Birkenau, Jacques Zylbermine reprend son témoignage.

« La nuit l'éclairage des barbelés rendait le paysage dantesque. Il n'y avait plus d'enfants, il n'y avait que des détenus. Je ne sais pas pourquoi j'ai survécu. »

Une baraque du camp de Birkenau.
Jacques Zylbermine raconte la vie dans le camp de Birkenau de l'intérieur même d'une des baraques.
Nous visitons un des baraquements de BII, les « box » de bois servaient à coucher les déportés qui étaient entassés à 12 par « planche ».

« Chaque matin, reprend Jacques Zylbermine, c’était la cueillette des cadavres. Il était très difficile de dormir, emboîtés les uns dans les autres. Nous avions si peu de chair que nos os étaient en contact direct avec les planches. La douleur était telle que nous devions changer de position, tous en même temps, chaque demi-heure. Les places du haut étaient les plus recherchées car la dysenterie était permanente et ceux du dessous recevaient les excréments de ceux du dessus. Les poux, les puces, les plaies nous faisaient souffrir. Des vagues de puces me couraient partout. Mon corps était une immense plaque rouge. Nous étions couverts de furoncles. Et puis il y avait le froid, la faim, la maladie, le désespoir…

Il y avait un chef par block avec des adjoints, des "Sturmdienst". Leur objectif : la bonne organisation des baraquements. Il fallait que les gens se tiennent tranquilles. C’était des déportés.

Les déportés étaient de toutes origines, il était difficile de communiquer. Toutes les langues étaient parlées. La seule langue commune qu’il était vital de connaître était l’allemand. Il était vital de connaître son numéro en allemand. Ne pas répondre à l’appel c’est la mort. C’était recevoir des coups de « Gummischlag » de matraque en caoutchouc. Le mien était le 157279. »

Jacques relève sa manche et nous montre son tatouage.

« Il est petit nous dit-il, car à l’époque j’avais un petit bras. Le matin appel par numéros. Ne pas répondre c’était la tabassée. Il faut apprendre son numéro par cœur. »

Les latrines.
« J’ai assisté à des pendaisons ignominieuses, en musique. Le supplicié était soulevé par une poulie, doucement, son agonie pouvait durer 10 à 15 minutes. Les corps s’agitaient, ce n’est pas beau à voir, le visage cyanosé, une langue énorme sortait de 10 à 15 centimètres, gonflée de sang. Ils souffraient le martyr. Et tout cela en musique.

Il y avait deus appels par jours. Par tous les temps, cela pouvait durer deux heures, voire davantage. Après 12 à 14 heures de travail, l’appel était une séance de torture. »


Les ruines de l'un des fours crématoires de Birkenau. C'est dans les sous-sol de ces bâtiments que se trouvaient les chambres à gaz. Ce sont les seuls bâtiments que les nazis ont dynamités avant de fuir en janvier 1945.
 Nous avançons vers une baraque sanitaire devant les latrines Jacques évoque « un autre lieu de torture avec la saleté et les infections. »

La porte du camp d'Auschwitz 1 et sa terrible devise "Arbeit macht frei", le travail rend libre.
Jacques Zylbermine guide ensuite le groupe dans le reste du camp. Il montre le quai de tri, les ruines des chambres à gaz et des crématoires, le bois de bouleaux, le Sauna.

Dans le musée d'Auschwitz 1 les boites de gaz Zyklon B.
Nous arrivons ensuite dans le camp d’Auschwitz I. A l’intérieur d’un des blocks Jacques reprend son récit lorsque des photos ou des objets évoquent des souvenirs. La vision de la pièce qui contient les tonnes de cheveux coupés est insupportable pour Jacques qui pense immédiatement que pourraient s’y trouver ceux des sien.

« Pourquoi j’ai survécu ? Je ne le sais pas. Ce n’est pas logique… c’est comme ça.

J’ai subi des bombardements américains à Buna Monowitz. Les Allemands se réfugiaient dans des bunkers et des déportés sont morts. Le 20 juillet 1944 ce fut le premier bombardement et le dernier en janvier 1945. J’ai subi tous les bombardements.

Lorsque j’étais à la Buna, par 3 fois nous avons vu la Croix rouge. Ils ont regardé. Il n’ont rien vu, rien entendu, rien dit… Alors que je les ai vus à quelques mètres de moi. Il y a eu une complicité du silence.

J’étais dans le même camp que Primo Levi. Trop malade il ne pouvait pas faire la marche de la mort. On a marché 18 jours sans boire ni manger dans l’uniforme d’Auschwitz III. Il y a eu 90% de morts. D’Auschwitz à Gleiwitz il y a 75 kilomètres. On marchait comme des cadavres vivants. C’était un effort surhumain. Un pas après l’autre… Dans un état second. Je me sentais dématérialisé à force de sublimer toute la souffrance que ça pouvait induire. Je me voyais en dehors de mon propre corps. Je ne ressentais plus rien. Aucune douleur, aucune sensation.

A Gleiwitz nous avons été parqués dans un camp. Le train ne venait pas. Les SS ont organisé un massacre de ceux qui ne pouvaient pas marcher. Un train est arrivé, avec des plateformes métalliques. Nous étions 120 à 130 entassés les uns sur les autres. J’ai eu la chance de ne pas être le long d’une paroi, les secousses des accélérations et des décélérations écrasaient ceux des extrémités. On est resté une dizaine de jours dans le train. A Buchenwald il n’y avait plus que 2 ou 3 survivants dont moi. Des hommes casqués nous attendaient. Il n’y avait que des cadavres dans le train. J’étais en état d’hypothermie. J’ai eu les pieds, les mains et une partie du visage gelés. »

Les fours crématoires près de la chambre à gaz du camp d'Auschwitz 1
Visite ensuite des bâtiments qui internaient les Polonais et en particulier des prêtres. Visite de la chambre à gaz n°1. A gauche les fours crématoires. Jacques nous montre comment fonctionnaient ces fours.

Il faisait  nuit noire quand nous avons quitté le camp.
Les 18 élèves et leurs deux professeurs autour de Jacques Zylbermine
Les élèves : AUGE Amélie, BANDINI Dimitri, BERTHO Sonia, BINIADAKIS Elise, CISLO Romain, CONSTANT Jennifer, CORJON Lysandre, DA SILVA Cindy, DEL PUPPO Oriane, DEVILLERS Stéphanie, DULION Sarah, FAVRET Aurélie, GERARD Elodie, GODIN Sophie, KIRMIZ Stéphanie, MARLIN Morgane, NEDJAR Isabel, ZEHNTER Anne. Leurs deux professeurs William MILLET, Olivier PLANCKE.