Le récit publié ci-dessous est la transcription du JMO (journal de marche et des opérations) du 246ème régiment d'infanterie formé à Fontainebleau le 4 août 1914. Le JMO du régiment est déposé au Service Historique de l'Armée de Terre (SHAT) à Vincennes. A l'instar de tous les JMO de la Première Guerre mondiale il est désormais consultable sur internet.
Le 246e régiment d'infanterie était le régiment de réserve du 46e RI caserné à Fontainebleau et à Paris. La mobilisation générale prévoyait le retour au régiment des réservistes en fonction d'un calendrier très précis indiqué sur les livrets individuels de mobilisation. Afin que la formation des régiments soit la plus rapide possible, les réservistes étaient affectés dans des régiments proches de leur domicile. Ainsi les soldats du 246e RI étaient pour la plupart des Parisiens et des Seine-et-Marnais. Ce sont ces hommes qui tout juste un mois après la mobilisation sont allés défendre leurs champs, leurs villages et leurs villes. La moitié d'entre eux est tombée lors de la bataille de la Marne.
« 4 août
Le 246ème régiment d’infanterie a été formé le 4 août 1914 (3ème jour de la mobilisation), à Fontainebleau.10 août
Le 246ème régiment d’infanterie a été formé le 4 août 1914 (3ème jour de la mobilisation), à Fontainebleau.10 août
Départ de Fontainebleau pour la base de concentration à l’effectif suivant : officiers : 39, sous-officiers et troupe : 2151, chevaux 126. »
Le régiment est commandé par le lieutenant colonel Chaulet. Il est constitué de deux bataillons, le 5ème (Commandant Brun), et le 6ème (Reverchon). Chaque bataillon comprend 4 compagnies numérotées de la 17ème à la 20ème dans le 5ème bataillon et de la 21ème à la 24ème dans le 6ème bataillon.
Le 11 août le régiment arrive sur sa base de concentration près de Saint-Mihiel.
Le 246ème fait partie de la 110ème brigade d’infanterie, 55ème division d’infanterie, 3ème groupe de divisions de réserve, 3ème armée.
« 5 septembre
On arrive à Iverny vers 13h. A ce moment la cavalerie ne signale aucun ennemi à proximité. Cependant le lieutenant-colonel prescrit à la compagnie Tournié de sortir du village en s’éclairant avec précaution. A ce moment là on aperçoit sur la crête N. O. de Monthyon quelques cavaliers, qui sont reconnus à la lorgnette, pour des cavaliers allemands.
Le 11 août le régiment arrive sur sa base de concentration près de Saint-Mihiel.
Le 246ème fait partie de la 110ème brigade d’infanterie, 55ème division d’infanterie, 3ème groupe de divisions de réserve, 3ème armée.
« 5 septembre
On arrive à Iverny vers 13h. A ce moment la cavalerie ne signale aucun ennemi à proximité. Cependant le lieutenant-colonel prescrit à la compagnie Tournié de sortir du village en s’éclairant avec précaution. A ce moment là on aperçoit sur la crête N. O. de Monthyon quelques cavaliers, qui sont reconnus à la lorgnette, pour des cavaliers allemands.
En même temps on aperçoit une forte colonne allemande, formée d’infanterie et d’artillerie sortir de Monthyon, par le chemin qui débouche au Sud de ce village au lieu-dit l’Hôpital. Aussitôt le lieutenant-colonel commandant le 246ème donne les ordres suivants : le 5ème bataillon sous les ordres du Commandant Brun occupe les fossés de la route, allant d’Iverny à Neufmoutiers. Le 6ème bataillon défend le village d’Iverny et occupe le début de la route de Monthyon. Un bataillon du 276ème étant entre Iverny et Le Plessis-l’Evêque. Ensuite la Compagnie Sallet (22ème) fait une avancée à l’extrême droite de notre front, de façon à se relier aux tirailleurs marocains, vers les bois de Penchard. Notre artillerie installée en arrière de la route de Iverny à Villeroy tire sur les fantassins allemands qui débouchent des pentes Sud de Montyon et sont venus occuper les crêtes à environ 1200 à 1400 mètres de nos lignes. Notre artillerie tient également sous son feu la batterie allemande installée entre Monthyon et Penchard.
Jusqu’à 17 heures, sous une très violente fusillade et sous un tir d’artillerie ininterrompu, le 246ème tient en respect les forces allemandes nettement supérieures par le nombre.
A 17 h ¼, le gros de la brigade n’étant pas encore arrivé renforcer le régiment, l’ordre est donné au 246ème de se replier sur La Baste.
Ce mouvement est commencé dans l’ordre le plus parfait, mais alors arrivèrent les renforts. Aussitôt le repli est arrêté et le 246ème se reporte en avant avec vigueur. Il occupe de nouveau ses positions de la journée et boivouacque (sic) le soir sur les lignes de défense du village d’Iverny. Toute l’après midi, le village d’Iverny fut l’objet d’un violent bombardement.
Les pertes du 246ème, au cours de la journée sont difficiles à évaluer, l’action ne s’étant apaisée qu’à la nuit tombée. Environ [ ? ](1) hommes hors de combat. »
A 17 h ¼, le gros de la brigade n’étant pas encore arrivé renforcer le régiment, l’ordre est donné au 246ème de se replier sur La Baste.
Ce mouvement est commencé dans l’ordre le plus parfait, mais alors arrivèrent les renforts. Aussitôt le repli est arrêté et le 246ème se reporte en avant avec vigueur. Il occupe de nouveau ses positions de la journée et boivouacque (sic) le soir sur les lignes de défense du village d’Iverny. Toute l’après midi, le village d’Iverny fut l’objet d’un violent bombardement.
Les pertes du 246ème, au cours de la journée sont difficiles à évaluer, l’action ne s’étant apaisée qu’à la nuit tombée. Environ [ ? ](1) hommes hors de combat. »
Le récit de la journée du 5 septembre se termine par la liste des officiers morts au champ d’honneur ou grièvement blessés.
« 6 septembre 1914
Dès l’aube le régiment poursuit sa marche en avant vers l’Est. Les patrouilles envoyées en reconnaissance rendent compte qu’à la suite du combat de la veille, les troupes allemandes ont évacué Monthyon, pendant la nuit, et sont en retraite vers le Nord-Est. Les Allemands sont partis précipitamment, abandonnant beaucoup de matériel, caissons d’artillerie, centaines de projectiles etc… et sans enterrer leurs morts qui gisent nombreux parmi les cadavres de chevaux sur les pentes descendant le village de Monthyon. L’action de notre artillerie, fut hier particulièrement efficace.
Dès l’aube le régiment poursuit sa marche en avant vers l’Est. Les patrouilles envoyées en reconnaissance rendent compte qu’à la suite du combat de la veille, les troupes allemandes ont évacué Monthyon, pendant la nuit, et sont en retraite vers le Nord-Est. Les Allemands sont partis précipitamment, abandonnant beaucoup de matériel, caissons d’artillerie, centaines de projectiles etc… et sans enterrer leurs morts qui gisent nombreux parmi les cadavres de chevaux sur les pentes descendant le village de Monthyon. L’action de notre artillerie, fut hier particulièrement efficace.
Le 246ème franchit les crêtes au Nord-Ouest de Monthyon et se dirige vers Marcilly.
Vers midi, ordre est donné à nos troupes de faire face au Sud-Est et de se diriger vers Barcy, cote 115, hauteur dominant la Marne, pour barrer la route à de gros éléments ennemis franchissant la Marne à Varreddes et battant en retraite vers le Nord.
Le 246ème reçoit l’ordre de marcher de la ferme St-Gobert sur la cote 115 (N. O. de Varreddes), ayant à sa gauche le 1er bataillon du 231ème et le 2ème bataillon du 276ème dont l’itinéraire était plus au Nord. Le mouvement s’effectue par un cheminement dans le ravin Est de Barcy, de façon à être défilé des feux de l’artillerie qui bombarde dès ce moment le village de Barcy et balaie l’Est de ce village ainsi que la route de Barcy à la Chaussée.
Vers midi, ordre est donné à nos troupes de faire face au Sud-Est et de se diriger vers Barcy, cote 115, hauteur dominant la Marne, pour barrer la route à de gros éléments ennemis franchissant la Marne à Varreddes et battant en retraite vers le Nord.
Le 246ème reçoit l’ordre de marcher de la ferme St-Gobert sur la cote 115 (N. O. de Varreddes), ayant à sa gauche le 1er bataillon du 231ème et le 2ème bataillon du 276ème dont l’itinéraire était plus au Nord. Le mouvement s’effectue par un cheminement dans le ravin Est de Barcy, de façon à être défilé des feux de l’artillerie qui bombarde dès ce moment le village de Barcy et balaie l’Est de ce village ainsi que la route de Barcy à la Chaussée.
Le village de Barcy après la bataille
En arrivant à la hauteur de cette route, les balles de l’infanterie allemande commencent à pleuvoir. Le régiment progresse en utilisant le terrain. Déjà plusieurs hommes sont tués ou blessés. Une série de shrapnells éclatent au dessus du groupe dont font partie les capitaines Gourguen et Ruffier qui sont tous deux blessés. A 500 mètres de la ligne de crête, un bicycliste du 289ème vient de la part de son colonel demander un appui. Aussitôt le lieutenant-colonel Chaulet, commandant le 246ème lance 6 compagnies à l’attaque de la gauche du petit bois situé au-delà de la crête. Bientôt ces 6 compagnies sont soutenues par les deux compagnies de réserve, moins toutefois un peloton affecté à la garde du drapeau.
Le feu de l’ennemi devient alors d’une formidable intensité. A mesure qu’on approche de la crête où les Allemands sont retranchés dans des tranchées profondes, on avance sous une grêle de balles, et sous les rafales des nombreuses mitrailleuses.
A chaque pas les hommes les hommes tombent morts ou blessés. Le commandant Brun (5e Bataillon) est tué. Le capitaine Robinet (commandant le 6e bataillon) est grièvement blessé. Un grand nombre d’officiers, sur tout le front sont frappés, blessés ou tués.
Cependant, par bonds successifs, on avance toujours et on atteint la route de Chambry à Etrepilly. La mitraille augmente encore d’intensité ; mais nos troupes y répondent.
A ce moment le lieutenant-colonel Chaulet est blessé, atteint de plusieurs balles ; le sous-lieutenant Colin est blessé en lui portant secours ; le lieutenant Mulleret porte drapeau tombe à son tour. Le sous-lieutenant Dumesnil prend le drapeau et se porte en avant en ralliant les hommes. Il est à son tour blessé. Le général de Mainbray debout sur la ligne de feu est blessé ; ainsi que son officier d’état-major le capitaine Renault, assez grièvement atteint. On avance toujours vers les tranchées allemandes. Cependant sous la violence du feu ennemi, les balles tombant littéralement comme de la grêle et nous causant des pertes considérables, quelques hommes du centre de la ligne semblent faillir et esquissent un mouvement de flottement. Le lieutenant-colonel se relève et rassemble ses forces, entouré du capitaine Tournié, des sous-lieutenants Dumesnil, Colin et Bertrand, reporte la ligne en avant. Les clairons et tambours sonnent « au drapeau » et « en avant » et à trois reprises notre ligne se reforme et progresse, baïonnette au canon, de telle façon que certains de nos éléments atteignent les tranchées allemandes.
Si des renforts nous étaient parvenus il eut été possible non seulement d’arrêter comme ce fut fait la progression des Allemands, mais de rejeter ceux-ci dans la Marne.
Cependant, par bonds successifs, on avance toujours et on atteint la route de Chambry à Etrepilly. La mitraille augmente encore d’intensité ; mais nos troupes y répondent.
A ce moment le lieutenant-colonel Chaulet est blessé, atteint de plusieurs balles ; le sous-lieutenant Colin est blessé en lui portant secours ; le lieutenant Mulleret porte drapeau tombe à son tour. Le sous-lieutenant Dumesnil prend le drapeau et se porte en avant en ralliant les hommes. Il est à son tour blessé. Le général de Mainbray debout sur la ligne de feu est blessé ; ainsi que son officier d’état-major le capitaine Renault, assez grièvement atteint. On avance toujours vers les tranchées allemandes. Cependant sous la violence du feu ennemi, les balles tombant littéralement comme de la grêle et nous causant des pertes considérables, quelques hommes du centre de la ligne semblent faillir et esquissent un mouvement de flottement. Le lieutenant-colonel se relève et rassemble ses forces, entouré du capitaine Tournié, des sous-lieutenants Dumesnil, Colin et Bertrand, reporte la ligne en avant. Les clairons et tambours sonnent « au drapeau » et « en avant » et à trois reprises notre ligne se reforme et progresse, baïonnette au canon, de telle façon que certains de nos éléments atteignent les tranchées allemandes.
Si des renforts nous étaient parvenus il eut été possible non seulement d’arrêter comme ce fut fait la progression des Allemands, mais de rejeter ceux-ci dans la Marne.
A la tombée de la nuit, le régiment, par échelons successifs, se replie par le ravin, la ferme de Saint-Gobert, la ferme Fischeux et Monthyon où sont installées les ambulances. Par centaines les blessés y arrivent.
Le régiment passe la nuit à Monthyon.
Le régiment passe la nuit à Monthyon.
Grande tombe des 200 soldats morts glorieusement les 5 et 6 septembre 1914, au combat de Villeroy
7 septembreLa 110ème brigade se rassemble pour se reconstituer au Nord Ouest de Monthyon aux environs de la ferme des Nonnes. Le 246ème se rassemble un peu au nord de cette ferme, le long du petit bois. Les hommes se reposent et font la soupe.
L’appel des hommes présents, donne pour le régiment un effectif de 780 hommes. Tout le reste étant tués, blessés ou disparus.
Le commandant Bonnet, du 276ème arrive pour prendre le commandement du régiment, le lieutenant-colonel Chaulet étant évacué. Le régiment est provisoirement reconstitué à un seul bataillon de 4 compagnies avec une seule section de mitrailleuses. A la date du 7 septembre le chiffre global des pertes en tués, blessés ou disparus, s’élève donc pour le 246ème (journées du 5 et du 6 septembre) : 811 hommes et 23 officiers (d’après la situation en date du 10 septembre) […] »
L’appel des hommes présents, donne pour le régiment un effectif de 780 hommes. Tout le reste étant tués, blessés ou disparus.
Le commandant Bonnet, du 276ème arrive pour prendre le commandement du régiment, le lieutenant-colonel Chaulet étant évacué. Le régiment est provisoirement reconstitué à un seul bataillon de 4 compagnies avec une seule section de mitrailleuses. A la date du 7 septembre le chiffre global des pertes en tués, blessés ou disparus, s’élève donc pour le 246ème (journées du 5 et du 6 septembre) : 811 hommes et 23 officiers (d’après la situation en date du 10 septembre) […] »
Suit la liste des officiers tués ou blessés puis les noms des nouveaux commandants de compagnies.
« Le soir le régiment va cantonner à la ferme Fischeux, se reportant en avant en raison de l’urgence à poursuivre l’offensive entre les gros des armées allemandes opposées à la 5ème armée française, et qui battent en retraite vers le Nord et le Nord-Est.
8 septembre
Le régiment quitte de bonne heure la ferme Fischeux mais il passe la journée très près de ce lieu et bivouaque le soir au Sud de Gesvres à droite de la route de Saint-Soupplets.
Le régiment quitte de bonne heure la ferme Fischeux mais il passe la journée très près de ce lieu et bivouaque le soir au Sud de Gesvres à droite de la route de Saint-Soupplets.
9 septembre
La 55ème division reçoit l’ordre de maintenir les positions occupées, et de se tenir prête à reprendre le mouvement offensif, la 110ème brigade organise la position éventuelle de repli de la route Saint-Soupplets, Marcilly à la ferme de Raimionne. Le 246ème conserve ses positions de la veille et bivouacque (sic) le soir sur place. Le régiment est reformé à deux bataillons avec 8 compagnies de 130 hommes environ chacune(2). Un certain nombre d’hommes portés comme disparus à la suite des combats du 5 et du 6 ont en effet rejoint le régiment. […]»
La 55ème division reçoit l’ordre de maintenir les positions occupées, et de se tenir prête à reprendre le mouvement offensif, la 110ème brigade organise la position éventuelle de repli de la route Saint-Soupplets, Marcilly à la ferme de Raimionne. Le 246ème conserve ses positions de la veille et bivouacque (sic) le soir sur place. Le régiment est reformé à deux bataillons avec 8 compagnies de 130 hommes environ chacune(2). Un certain nombre d’hommes portés comme disparus à la suite des combats du 5 et du 6 ont en effet rejoint le régiment. […]»
(1) Le rédacteur laisse ici un blanc en attendant d’avoir un nombre précis à noter, ce qu’il ne fera jamais
(2) Soit un peu moins de la moitié des effectifs des compagnies à la formation du régiment un mois auparavant.
Monument érigé à Villeroy en l'honneur des soldats des 231e, 246e et 276e régiments d'infanterie morts pour la France lors de la bataille de la Marne en septembre 1914. Le 231e a été formé à Melun, le 246e à Fontainebleau et le 276e à Coulommiers. En haut à droite de la liste de noms on peut lire "lieutenant Charles Péguy" (du 276e RI).